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Société

Quatre mois de sursis et obligation de soins pour Marie Leblanc, fausse victime d'une agression dans le RER
LE MONDE | 27.07.04 | 13h14
Quatre mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans avec obligation de soins pour la fausse victime d'une agression dans le RER.

Pour l'occasion , elle est allée chez le coiffeur. Une nouvelle coupe de cheveux proprette encadre les traits fins de son visage, qu'elle offre aux objectifs des photographes et des caméras avec un surprenant mélange de timidité et de gourmandise. Voici donc Marie Leblanc, 23 ans en paraissant 17, vêtue d'un jean, d'un pull blanc à large encolure et chaussée de baskets, et qui, après avoir mis la France en émoi, puis en colère, s'avance, lundi 26 juillet, vers l'épilogue judiciaire de son histoire devant le tribunal correctionnel de Pontoise.

De la terrible agression à caractère antisémite perpétrée dans le RER contre une jeune mère flanquée de son bébé en poussette, sous la lâche passivité des autres voyageurs, ne reste désormais que ce délit à l'intitulé sec et froid de "dénonciation de crime imaginaire" pour lequel Marie Leblanc encourt six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende.

Le président, Jean Idrac-Virebent, la dévisage avec un air de vieux proviseur désabusé. "Vous avez reconnu, Mademoiselle, les faits qui vous sont reprochés. Alors, dites-nous ce qui s'est passé dans votre tête."

Bien droite à la barre, elle répond d'une voix enfantine : "C'est exact que j'ai menti, j'ai dit que j'avais été agressée, et c'était pas vrai." "Mais vous avez vu l'ampleur que cette affaire a prise, l'émotion qu'elle a suscitée..." "Ben, je voulais qu'on s'occupe de moi." "Et il n'y avait rien d'autre à faire ?", reprend le président. "Je voulais que ma famille, mon ami s'occupent de moi", répète, mécanique, Marie Leblanc. "Mais... ces croix gammées ?" "J'avais entendu parler à la télé de croix gammées dans un cimetière et, avec mon ami Christophe, ça nous avait particulièrement marqués." "Et vous n'avez pas d'autre explication ?", soupire le président. "Non. J'avais conscience du mensonge, mais je ne pensais pas que ça allait aller aussi loin." "Bon, et vous en êtes où de votre relation avec votre ami ?" "C'est terminé." "Et votre petite fille ?" "Elle est chez mes parents."

"Et avec vos parents, c'est apaisé ?" "Oui, on se parle." "Est-ce que vous avez conscience de la nécessité de vous soigner ?" "Oui, je vais voir un psychiatre la semaine prochaine."

"CETTE MAIN ÉTAIT LA SIENNE"

L'interrogatoire est terminé, la prévenue sourit gentiment à son avocat et se rassoit pour écouter Me Dominique Marçot justifier la constitution de partie civile de la SNCF, "vraie victime directe des agissements de Marie Leblanc". En quelques mots rapides, il rappelle la mobilisation des personnels pour tenter de retrouver trace de l'agression et la "publicité" dont la SNCF se serait passée sur "le train de la peur". Avant de demander un euro symbolique au titre du préjudice subi, il lance comme on soufflette : "Une croix gammée, cela vient toujours de la main d'un imbécile, et, dans cette affaire, on a fini par comprendre que cette main était la sienne. C'est sans doute la plus grande des sanctions", conclut-il.

Dans la même attitude sage, Marie Leblanc reçoit la leçon de civisme du substitut du procureur, Luc Pelerin. Rappelant les recherches qui ont occupé, trois jours durant, "85 fonctionnaires de police qui vont interroger 775 passagers du RER, rédiger 173 procès-verbaux", il dénonce, dans une formule soignée, "le rapt du bien public" dont s'est rendue coupable, selon lui, la jeune femme. "Tout cela, c'est de l'utilité, du temps volé aux forces de police parce que, pendant qu'ils traquaient les faux agresseurs, ils ne s'occupaient pas des vrais criminels ni des vraies victimes." Mais, ajoute le substitut, si Marie Leblanc doit "rendre des comptes à la justice, elle ne doit pas rendre des comptes sur l'emballement médiatique que son affaire a suscité". Il requiert six mois d'emprisonnement avec sursis et 2 000 euros d'amende.

C'est à cette même distinction entre "affaire judiciaire" et "affaire politico-médiatique" que l'avocat de Marie Leblanc, Me Christophe Deltombe, invite le tribunal : "Marie a déjà raconté des histoires. Cette fois, elle va monter d'un cran. Mais là s'arrête son affaire. Après, il y a validation par les autorités politiques, puis emballement médiatique parce qu'elle a capté les malaises ambiants, puisé les ingrédients de son affabulation dans la pathologie sociale."

Le président se tourne vers la jeune femme. "Avez-vous quelque chose à ajouter ?" "Je voudrais présenter mes excuses à la police et à la SNCF", récite-t-elle. La sanction judiciaire tombe au bout d'un quart d'heure : quatre mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans avec obligation de soins. Marie Leblanc reprend son petit sac, son joli sourire, et le tend une dernière fois aux objectifs, moins timide, encore gourmande.

Pascale Robert-Diard

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.07.04